BELLE ANALYSE DE LA PIÈCE DE JEAN DESSORTY
Trois amis de longue date discourant jusqu'à se quereller à cause d’un tableau acheté par l’un d’entre eux. Son propriétaire très fier de sa nouvelle acquisition se met en quête de l’avis de ses deux proches, vantant auprès de chacun combien cette œuvre moderne est du dernier chic, à savoir une production de bonnes dimensions, entièrement blanche, sorte d’outre-blanc où un regard avisé pourrait en clignant des yeux distinguer ici en «diagonale de fines rayures» là «des liserés» mais toujours de cette même couleur virginale. In fine, un summum de snobisme payé au prix fort que l’un qualifie vertement «de merde» quand l’autre, plus diplomate ou plus lâche c’est selon, préfère s’abstenir de tout jugement. Posséder ce monochrome énigmatique devient pour l’un symbole de l’appartenance au gotha de l’art contemporain, pour les autres dérive totale de sens. Condescendance ou sarcasmes, «déconstruction modernissime» toute de suffisance ou rire sardonique un brin moqueur, artiste surcoté ou blagues de mauvais goût, lentement, insidieusement, quelque chose se fissure progressivement entre les trois personnages jusqu’à remettre en cause des liens vieux de quinze ans...d’autant plus difficile à accepter qu’au prochain mariage de l’un les deux autres comparses doivent être ses témoins… Voilà comment on pourrait résumer brièvement la trame introductive de la pièce de Yasmina Reza «Art» que propose une compagnie issue de la métropole de Montpellier La Clémentine. Réflexions douces-amères entre rancœur et non-dits, amertume et nostalgie, renoncements ou mélancolie, toutes permettent de mesurer autant l’importance de relations humaines sans concession que leur extrême fragilité… La versatilité versus la profondeur, comme cette toile immense derrière laquelle chacun se projette, se cache ou se révèle… Qui du «courtisan servile et flasque, du farfadet ou du ludion» est le plus sincère et le plus authentique pour réconcilier les uns tout en s’affirmant enfin soi-même? Les trois comédiens incarnent avec beaucoup de tact et de nuances ces méandres de l’âme humaine... quand l’invisible devient miroir. Un spectacle volontairement très ambivalent pour susciter de multiples perspectives.